«
Tu sens cette odeur Soan ?» «
C'est l'indescriptible parfum de la mort ... Peut-être que tu le porteras plus vite que prévus Clio.» «
Je le crains aussi.»
Clio jeta un autre regard à son interlocuteur. De tous ses frères et sœurs, il était bien le seul à venir tous les jours la voir dans cet enfer. Un enfer qui ne semblait pas vouloir disparaître. Les jours passaient et ils se ressemblaient tous. Pas un seul changement, rien du tout, juste ce sentiment de lassitude. Ça faisait quatre mois aujourd'hui que Clio n'avait pas quitté cette chambre d'hôpital. De santé fragile, elle avait encore fait une overdose. Sa tentative de suicide en avait en plus rajouté une couche. Beaucoup trop maigre, les médecins refusaient de la laisser sortir pour le moment. Elle devait se rétablir avant tout, même si ça devait avoir des conséquences néfastes sur sa santé mentale.
Elle avait tout essayé pour sans sortir. Elle avait même été jusqu'à voir un psychologue régulièrement, mais il faut croire que le destin vous rattrape toujours. Durant toute son enfance, Clio a été trimbalée de famille d'accueil en famille d'accueil. Ses parents biologiques, elle ne les a jamais connus. Elle n'était pas une enfant désirée, la meilleure solution pour ces deux drogués était donc de laisser le bébé devant cet orphelinat.
La vie là-bas n'était pas s'y mal que ça en y réfléchissant bien. A l'âge de six ans, Clio fut placée dans sa première famille d'accueil. Des gens bien en apparence, mais en réalité, ce n'était qu'un couple en manque d'argent qui profitait de la faiblesse des enfants placés à leur charge. Les familles se sont enchaînés les unes après les autres. Pendant plus de dix ans.
«
Tu vois, je te l'avais bien dit qu'il allait mourir.»
L'enfant regarda la bête avec ses grands yeux. C'était la fin, ce chiot avait fini par rendre l'âme. Pourquoi à chaque fois qu'elle s'attachait à quelqu'un, il devait partir un jour ? Une perle salée se mit à dévaler le visage de la petite. Une, puis deux, puis trois ... C'était donc ça, la mort ? Les gens partaient, mais jamais ils n'étaient encore morts. C'était quelque chose de beaucoup trop douloureux pour une enfant de neuf ans. «
Tu sens cette odeur Soan ?» Entre deux sanglots, Clio avait réussi à articuler ces paroles. «
C'est l'indescriptible parfum de la mort ... Peut-être que tu le porteras plus vite que prévus Clio.» Les yeux de la gamine s'écarquillèrent d'un seul coup. Comment pouvait-il dire ça avec autant de calme ?
Soan était comme Clio, un de ces enfants que les juges n'arrivent pas à placer. Depuis qu'ils étaient tous petits, ils avaient toujours été placés dans les mêmes familles. Depuis le temps, elle ne considérait comme son frère. Tout comme les autres enfants de l'orphelinat. Elle y retournait souvent, à chaque fois qu'elle se faisait éjecter d'une famille. Des frères et sœurs, Clio en avait une cinquantaine.
La petite se redressa. Rapidement, elle sécha ses larmes avec la manche de son pull. Elle ne pouvait pas se permettre de pleurer devant Soan. Non, elle n'en avait pas le droit. «
J'ai pas envie de mourir Soan ...» «
Moi non plus, mais on va tous mourir un jour Clio.»
La jeune femme posa le couteau à côté d'elle. Il y a quelques années, elle s'était jurée de vivre le plus longtemps possible. Pourtant, elle venait tout juste de tenter de mettre fin à ses jours prématurément. Tout c'était enchaîné si vite. D'abord l'alcool et puis la drogue ... Ça aidait, surtout après s'être fait violer par votre tuteur légal. Oui, Clio avait fini par se faire adopter, mais pas par le meilleur des hommes. Il avait commencé à la toucher, à l'embrasser et très vite, il alla plus loin. Ce n'est pas la peine de vous faire un dessin non ? Ça faisait cinq ans qu'elle vivait avec lui, mais maintenant, elle n'en pouvait plus. Quand elle s'était retrouvée face à Soan, son cœur avait fini par exploser. Il avait tellement changé, lui, n'était pas devenu comme elle. Il réussissait ses études, il vivait avec les meilleurs parents du monde, il avait enfin une famille. Et elle, qu'est-ce qu'elle avait ? Rien du tout. La meilleure solution était donc de quitter ce monde, c'est du moins ce qu'elle pensait. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle ait un problème de santé. En quittant cette terre, elle n'aurait plus tous ces problèmes. Et surtout, cet homme ne pourrait plus jamais la souiller.
Elle avait donc attendue d'être seule pour passer à l'acte. Le couteau avait ouvert sa peau pour la délivrer. Pourtant, maintenant que son poignet était en sang, elle ne se sentait pas mieux pour autant. Avait-elle fait une erreur ? Elle n'en savait rien et elle ne le saurait sûrement jamais. Avant de s'évanouir, elle avait vue la porte de sa chambre s'ouvrir pour laisser place à ce jeune homme qu'elle aimait tant. Celui qu'elle avait toujours admiré. Celui qu'elle avait toujours considéré comme son frère. Dans ses bras, elle avait réussi, tant bien que mal à articuler : «
Tu sens cette odeur Soan ?» Le rouquin avait hésité quelques secondes avant de répondre, mais il s'était finalement résigné. «
C'est l'indescriptible parfum de la mort ...»
La jeune femme tourna sa tête vers la fenêtre. Dans cette chambre d'hôpital, il n'y avait rien à faire. Comme toujours, Soan restait muet, mais lui, il était là. C'était bien le seul. Clio soupira une nouvelle fois. Elle ne supportait plus de rester assise. Il fallait qu'elle bouge. C'était inévitable. «
Qu'est-ce que tu comptes faire une fois sortie d'ici ?» La demoiselle regarda son interlocuteur. Pour une fois, c'était lui qui engageait la conversation. Malheureusement, ce sujet là, elle le détestait. Que comptait-elle faire ? Elle n'en avait aucune idée. La voyant hésiter, le roux continua : «
C'est bien l'université.» Clio se remit à regarder par la fenêtre et répondit : «
Sûrement ...» «
J'ai fait une demande d'inscription pour toi. Tu connais Niagara Falls ?»
Ça y est, le grand jour était enfin arrivé. Dans quelques heures, Clio serait dans cette fameuse université. Sa vie allait changer. Un sourire s'afficha sur son visage. Elle avait imaginé son départ plus festif. Mais bon, elle ne pouvait pas en demander trop. Elle aurait juste voulu que Soan soit présent, mais ça, c'était désormais impossible. Elle, était en vie, lui, non. Il était finalement parti avant elle.
L'étudiante s'agenouilla devant la tombe. Elle ne pleurait pas, elle se contentait juste de sourire. Lentement, elle passa ses doigts sur les écritures gravées sur le marbre gris. Le nom de son frère y était inscrit, la dernière trace qu'il laissait sur terre. Clio prit une grande inspiration et se mit à parler à haute voix. «
Tu sens cette odeur Soan ?» Comme elle le pensait, il n'y eut aucune réponse. Ça aurait été trop beau pour être vrai. Elle aurait donné n'importe quoi pour l'entendre rien qu'une fois. «
C'est l'indescriptible parfum de la mort ...»
.