« Dahn, combien de fois t'ai-je dis que- oh mon dieu ! Tu vas bien ? » Affolement, surprise. Un petit garçon, trempé, dont les prunelles azurées luisent faiblement dans la pénombre. Des boucles aplaties, mouillées, d'un blond caramel qui flanchent sur son front plissé, soucieux. Il s'écarte, délicatement, laissant apparaître une frêle silhouette, dissimulée jusque là derrière lui. Son visage aux traits délicats est balafré, traversé par de légères coupures et bleus, ses joues sur lesquelles dévalent quelques perles salées. « Qu'est-ce qui s'est passé ? » L'enfant, après un regard tendre à la petite, attrape sa main dans la sienne, serrant assez pour faire passer beaucoup de choses. Son port est droit, presque altier. Il n'a pas peur, il est courageux, il veut simplement que les pleurs se tarissent enfin. Parce que son cœur lui fait mal, depuis qu'il l'a rencontré. « Elle était toute seule. On l'a frappé. » Un jappement de stupeur. Puis les deux jeunes êtres sont expressément priés de rejoindre la demeure. La plus jeune étant rapidement prise en charge. Pendant qu'elle se trouve aux bons soins de la matriarche, le garçon observe les gestes, les méthodes, les méthodes. La manière d'agir, de rassurer, de guérir, de soigner. Il n'a jamais manqué une occasion d'admirer la dextérité de sa mère, la manière qu'elle avait de redonner le sourire à ses patients, en quelques mots. Les larmes ont disparu, mais le rehaussement de lèvres n'est pas encore apparu. La beauté presque douloureuse de la petite fille, avec ses longues ondulations blondes. Ses yeux d'un bleu-vert saisissant. Ses lèvres roses, tremblantes de peur. « Dahniel, emmène la petite et donne lui un de tes pyjamas, elle reste dormir ici ce soir, elle ne peut pas rentrer chez elle. On avisera demain. » Il fait quelques pas, doucement, presque craintivement. Il ne veut pas brusquer la biche effrayée qui se trouve encore assise sur une chaise. Elle l'observe, elle essaye de comprendre pourquoi. Pourquoi est-ce qu'il est venu l'aider ? Comme ça, parce qu'il sentait que s'il ne le faisait pas, il s'en voudrait toute sa vie. Parce qu'elle l'avait attiré, inéluctablement. Avec l'innocence que les enfants ont tous un jour, avant qu'elle ne se perdre. Il tend sa main, une nouvelle fois, laissant ses grands yeux bleus s'égarer sur le visage blafard. « Viens. Suis-moi. » Hésitation. Puis l'autre, plus délicate, se pose sur la sienne. Le corps léger et presque flottant se déplace en synchronisation avec celui de son guide. Dans la pièce éclairée d'une veilleuse aux tons orangés, tamisés, des vêtements lui sont tendus. Et pendant qu'elle lave son corps des coups, dans la salle de bain, il s'assoit sur le rebord de la fenêtre. Observant les étoiles qui scintillent comme des diamants dans le ciel d'encre. Comment est-il possible de penser ne serait-ce qu'à violenter un enfant ? Comment l'idée peut-elle germer dans un esprit ? Il sait qu'il est encore un membre du cercle éphémère des jeunes entités. Mais il ne comprend déjà pas la violence, la méchanceté, le vice. C'est le grincement de la porte qui le fait se retourner, pour poser ses yeux sur la silhouette habillée d'un pantalon de coton et d'une chemise trop grands pour elle. L'accord est tacite. À peine réfléchi, vraiment voulu. Ils ne demandent que de l'affection mutuelle, une protection, un cocon où ils peuvent oublier tout ce qui n'est pas la paix. Et c'est lovés l'un contre l'autre, dans la plus pure harmonie, qu'il entend enfin la voix de l'ange qu'il a recueilli chez lui. « Pourquoi ? » Il sourit, délicatement, avant de frotter son nez contre l'autre. « Dors. Tu es fatiguée, tu dois te reposer. » Un visage se blottit dans le creux de son cou. Une chaleur se diffuse dans son petit corps d'enfant. Il est bien. Il se sent complet. « Merci. » Il ne sait pas trop si il est celui qui a baillé à bouche grande ouverte. « De rien. Bonne nuit. » Et deux âmes, liées à travers le temps et l'espace, vont être séparées, pour se retrouver réunies, quelques années plus tard. Dans d'autres circonstances, avec d'autres états d'âmes. Mais l'on oublie jamais les rencontres qui marquent nos esprits, n'est-ce pas ? Ces deux souffles, qui rythment le silence de la pièce, s'unissent. Et ne se détruiront jamais.