La main agrippant sa gigantesque valise, elle quitte notre habitation d'un seul geste rapide traduit par le bruit strident d'une porte claquée. Sans un mot, elle part dans un simple et vulgaire coup de vent contre nos visages ahuris et emplis d'incompréhension. Elle ne nous a jamais vraiment porté d'attention et encore une fois, il ne lui ait pas traversé l'esprit qu'une souffrance nous submergerait instinctivement, face à son départ précipité mais surtout inattendu. Sans le moindre regard à notre égard et ne prenant en compte que sa propre personne, elle monte à l'intérieur du taxi le dos tourné. Elle n'a pas ressenti quelconque émotion en partant, n'est parvenue qu'à faire preuve d'égoïsme. Comme à son habitude elle n'éprouve pas le moindre amour vis à vis de nous, mais au contraire une amère indifférence difficile non seulement à admettre ainsi qu'à supporter. Ma mère, que je devrais normalement considérer comme la femme de ma vie, nous a quitté lors de mes dix ans, moi et mes trois grandes sœurs. J'avais beau n'être qu'un gamin, il était d'une évidence considérable que ce jour-là était le commencement de l'anéantissement de mon père. Il a dû apprendre à vivre sans elle, à garder la tête haute pour nous et à refuser l'emprise totale de son corps par cette tristesse infinie. Il me semble que c'est cet amour pour nous qui l'a sauvé, guidé vers un monde plus beau sans cette femme sans cœur. Je n'ai jamais eu à me plaindre de mon père, il a toujours été présent dans chacun des moments de notre vie, bien qu'un peu trop distant et inexpressif à mon goût. Il était difficile de remarquer une émotion sur son visage, ou encore de deviner quelques-unes de ses pensées ou de ses sentiments à certains moments. Je crois que leur divorce et le départ improvisé de ma mère l'a rendu quelque peu insensible et indifférent à toute émotion qu'il serait pourtant susceptible de ressentir à des moments précis.

Quant à moi, durant mes plus désastreuses années, je me suis isolé dans mon monde avec comme compagnie des crayons, feutres, peintures et feuilles blanches. J'ai rapidement compris que le dessin deviendrait un élément important dans ma vie et au fur et à mesure du temps, en est même née une passion. J'ai toujours laissé mon imagination et mon esprit créatif guider ma main droite à travers la feuille, leur donnant l'opportunité de s'éclater comme bon leur semblent. Chaque fois, cette passion a été bénéfique dans ma vie, de par sa procuration de plaisir intense, d'oubli de soi-même, ainsi que d'un apaisement complet. Ce domaine d'expression m'a permis de me livrer par l'intermédiaire de simples traits, d'échapper à une situation qui était non seulement difficile à gérer émotionnellement, mais qui se présentait également comme insupportable à vivre. Grâce à lui, j'ai trouvé la capacité de me reconstruire, d'oublier la perte de motricité obtenue par le dysfonctionnement de mes membres inférieurs. En effet, j'ai subi un accident de voiture violent qui m'a projeté loin dans un ravin et les conséquences ont été graves. Le pronostic que je remarche à nouveau ne pouvait être fait, restait à évaluer ; j'ai dû rester plus d'un mois à l'hôpital et devais y retourner régulièrement afin de suivre des séances de rééducation. Au début, il m'était difficile de continuer à avoir ma joie de vivre habituelle, me retrouver en fauteuil roulant et ne pas savoir être autonome, m'a donné un coup au moral. Petit à petit, j'ai appris à m'habituer à la situation, gardant le sourire et cette capacité à penser que, malgré tout, la vie est belle. Je n'ai pas obtenu ce courage tout seul, le dessin y était véritablement pour quelque chose. C'est par ailleurs grâce à lui que je me suis senti si soutenu, si fort, si pour pouvoir alors surmonter cette grande épreuve que m'infligeait la vie. Je n'avais plus de jambes pour marcher, mais il me restait toujours mes mains pour dessiner et c'était ça le plus important selon moi. C'était ça qui était vraiment nécessaire à ma vie à ce moment-là : le dessin, et non plus ma capacité à marcher. Seulement, il n'en était pas de l'avis de tout le monde, notamment de mon petit-ami de l'époque. Aiden. Ce bon vieux Aiden. Il m'a pris pour un handicapé lorsque j'ai eu mon fauteuil roulant, me forçais à me pousser de peur que je m'épuise, restais constamment près de moi ... si bien que j'en ai eu marre. Oui, il était gentil, doux et attentionné. Mais moi, là-dedans ? Je n'avais pas besoin qu'on m'aide, ni même qu'on me fasse sentir être un assisté, et encore moins que quelqu'un fasse les choses à ma place. Alors j'avais beau l'aimer comme un fou, je me sentais obligé à mon tour de le quitter. Cette situation devenait pire encore avec sa présence, ainsi j'ai brisé notre relation par quelques mots, ne sachant pas vraiment quoi faire d'autre. J'étais amoureux de lui mais j'avais l'impression que notre couple ne fonctionnerait jamais ainsi. J'ai aujourd'hui quelques regrets vis à vis de cette rupture, que je tente pourtant d'oublier dans les bras de Maël - ou pas d'ailleurs, il est plutôt question d'une stratégie mise en place dans le seul but de rendre Aiden quelque peu jaloux. Toutefois, je l'espère. Je compte ne plus l'éviter, me rendre visible à l'université et ainsi le reconquérir le mieux possible. Je me alors conçois un bel avenir dont le dessin y est présent. J'aimerais devenir un grand dessinateur grâce à cette école réputée, dans laquelle je suis depuis la rentrée. Je reprends un nouveau départ, les béquilles en main, traduisant les épreuves surmontées et mon passé.