Tout le monde rêve d’avoir une vie palpitante. Certains veulent être riches, partir à l’aventure, voyager et même de mener une vie de débauché. Jude était le premier à rêver de s’évader. Enfant, il restait seul, évitant tout contact avec ses camarades. Il préférait inventer des scénarios qui pourraient le sauver d’un quotidien trop monotone à ses yeux. Pourquoi pas un monstre, un tremblement de terre, un tsunami ou un crash d’avion ? Il n’hésitait pas à supprimer ses parents de ses histoires et s’entraînait à vivre sans eux (« on ne sait jamais. », disait-t-il).  La plupart des enfants qu’il rencontrait étaient d’abord amusés par ses histoires mais bien vite ils trouvaient ça ennuyeux. En fait, ils le trouvaient ennuyeux. Il détestait bouger et préférait lire toute la journée. Ses parents étaient inquiet, premièrement. A huit ans, lire des romans ce n’était pas possible. Pas pour eux qui avaient toujours aimé bouger et sortir. Mais ils devaient bien accepter ça, Jude était parfaitement normal. Juste… Calme. Mais ils préféraient espérer qu’il change un jour.
Leurs prières furent entendues. Malheureusement.
Vers onze ans et demi, il entra dans la phase où l’on se cherche, où l’on veut être différent des autres. Il avait donc décidé de fumer. A notre époque, même pour un préadolescent, cela paraît totalement banal, me dira-t-on. Mais il se devait de faire dans le grand ! De faire quelque chose qu’aucun autre collégien ne faisait. Il se trouvait donc malin, une pipe au bec. Un peu plus tard, il du faire face à la célèbre crise d’adolescence. Il était constamment en colère et passait ses nerfs sur tout ce qu’il trouvait, y compris ses parents. Et si ils avaient du le forcer à sortir quand il était plus jeune, ils peinaient maintenant à le faire rentrer. Heureusement pour eux, il n’était pas très imposant. Il était tout maigrelet et n’ayant jamais aimé le sport, pas très musclé. Le seul point positif était qu’il était devenu soudainement très sociable. Il se faisait facilement des amis et donnait rapidement sa confiance. On lui reprochait d’ailleurs d’être trop naïf et de s’attacher à une vitesse presque effrayante, au point que cela devienne dangereux pour lui. Mais il vivait pour le danger, après tout. Son goût pour l’aventure ne s’était pas atténuée au fil des ans, bien au contraire, il avait maintenant un but bien précis : Faire le tour du monde. Avec quels moyens ? Bonne question, il n’aurait qu’à improviser. Peut-être se verrait-il obligé de vivre en ermite, ça lui convenait parfaitement. Et s’il devenait riche par pur hasard, c’était encore mieux. En tout cas il ne s’encombrerait pas d’un animal ou d’une femme. A moins que la femme en question ait le même rêve que lui…
Il avait quatorze ans, trois mois et douze jours. Il était à la fête d’anniversaire d’un ami et il venait de voir la plus jolie fille du monde (d’après lui). Cela avait été un véritable coup de foudre. Il ne la connaissait pas, il ne savait même pas son nom et de toute façon il était trop gêné pour lui adresser la parole. La journée s’était déroulée d’une vitesse affolante à ses yeux et son cœur avait manqué de s’arrêter lorsque la brunette était venue lui parler. Elle semblait ne pas remarquer les bégaiements du blond et ses joues rouges. Plus ils parlaient, plus Jude la trouvait parfaite. Et avant qu’il ne tente quoi que ce soit, elle lui donna rendez-vous le lendemain. C’était… Génial.  Après cette fête, ils se revoyaient presque tous les jours. Elle s’appelait Luz et elle avait quinze ans. S’était installée en Écosse avec ses parents il y a un an mais était originaire d’Espagne.  Comme lui, elle rêvait de partir loin et surtout, seule. Rapidement, ils s’étaient trouvé des points communs et s’étaient mis en couple. Cela n’étonnait personne, Jude semblait fou d’elle. Il lui obéissait au doigt et à l’œil au point de se dégoûter lui-même de la viande pour devenir végétarien comme sa petite amie. Si l’amour rend aveugle, il rend surtout idiot. Aussi, il y avait quelque chose de différents chez eux, c’était que Luz était prête à partir d’un jour à l’autre. Elle disait que plus rien ne la retenait et qu’elle partirait, même sans lui. Et lui, justement, n’était pas prêt du tout. Déjà, il se rendait bien compte qu’il n’avait même pas les moyens de partir et l’idée de quitter sa famille et ses amis lui faisait mal au cœur. Mais pouvait-il laisser partir l’amour de sa vie ?
A partir de ce moment, tout s’enchaîna très –trop- rapidement. Sous ordre de sa compagne qui avait fait pareil, il avait volé ses parents avant de faire le mur, tirant une valise bien remplie. Jamais il n’avait eu autant de courage qu’à ce moment. Tout s’embrouillait en lui et il n’arrivait pas à réfléchir, il se contentait de suivre l’espagnole. Jusqu’au bout du monde s’il le fallait. Ils traversèrent d’abord la manche et enchaînèrent de petits hôtels de France pendant quelques mois avant de partir pour la Suisse et l’Allemagne. Ils étaient heureux et amoureux
Peu après les seize ans de Jude, ils entreprirent de traverser l’océan pour s’installer au nord du Canada. Ils y restèrent un an. Un an durant lequel Jude restait persuadé de mourir aux côtés de son aînée. Son amour et son désir pour elle grandissaient tous les jours un peu plus. Même quand elle s’énervait, même quand elle sortait en pleine nuit, même quand elle commençait à se montrer distante. « Redescends sur Terre un peu ! »  se plaignait-elle lorsqu’elle était en colère. Mais il ne comprenait pas de quoi elle parlait, il ne cherchait même pas à comprendre. Pourtant il ne tarda pas à réaliser. Et plutôt violemment.
Il avait dix-sept ans, trois mois et deux jours lorsqu’il surprit Luz sur le palier, ses valises faites. Il crû d’abord à une plaisanterie mais il était clair qu’elle partait. Et elle se fit un plaisir de lui expliquer la raison de son départ. «  T’es plutôt con dans ton genre toi, hein. On m’avait prévu que tu étais naïf mais c’est plus grave que ce à quoi je m’attendais. Tu pensais vraiment que je tomberais amoureuse de toi ? T’es un gosse, Jude. T’es immature et pas foutu de te trouver un boulot. Tu me mérites même pas. C’était cool de voyager, c’tait mon rêve, et toi tu me l’as offert sur un plateau en or. Mais maintenant que t’as presque plus de fric, je vois pas ce qui me retiens ici. Maintenant je vais me trouver un autre mec qui aura du pognon et te laisser te démerder, chéri. »
Il était resté quinze bonnes minutes debout devant la porte fermée. Il avait honte, mal partout, il se sentait con et était triste. Il aurait voulu pleurer mais les larmes ne voulaient pas sortir. Sûrement pour le faire souffrir un peu plus. Il avait l’impression d’étouffer, la boule qu’il avait dans la gorge grossissant dangereusement. Pendant trois cinq bons mois, il déprima. Il ne sortait plus, il redevenait aussi enfermé que pendant son enfance. Des fois il voulait rentrer chez ses parents mais se souvenait que c’était maintenant impossible. A cause de lui. Il n’en voulais même pas à la brune, c’était lui le coupable. Parce qu’il avait été assez con pour croire à tout ça. Il ne tomberait plus jamais amoureux. Plus jamais. Autant mourir. Il ne ferait plus jamais confiance non plus. Mais il ne pouvait pas se laisser mourir, ce serait la laisser gagner. Il devait se reconstruire. Tout recommencer et loin d’ici. Ses économies rassemblées, il avait cherché une ville dans laquelle il pourrait se rendre sans dépenser beaucoup. Il avait donc déniché un billet pour une ville qui ne l’avait jamais attiré. Du moins, pas plus que ça. Toronto. Après tout, pourquoi pas ?