(c) pretty bones

Pourquoi les toilettes de l'établissement ? Pour être honnête, je n'en savais absolument rien. Tout ce que je savais, c'est que je ne croiserais personne ici. Passé vingt trois heures, les élèves n'y mettaient plus les pieds, trop occupés à faire la fête à l'autre bout de la ville, dans je en sais quelle boîte ou bar huppé, ou se tournait et se retournait sous leurs couvertures. Je n'avais pas sommeil, j'avais envie d'écrire. Je n'arrivais à aligner trois phrases qu'une fois la nuit tombée. Je n'avais jamais su travailler de jour. Bien entendu, quand on me posait une feuille de contrôle devant les yeux, à huit heures du matin, je n'avais pas d'autres choix que d'écrire les réponses dessus. Je n'allais pas rendre une copie blanche au professeur, en précisant en bas de page, genre nota bene, que je ne travaillais qu'une fois le soleil couché. C'était totalement idiot. Non, ce que je voulais dire par là, c'est que mon vrai talent, mon don pour l'écriture de scénarios, ne venait que le soir. Mes personnages prenaient vie sur mon carnet, leurs aventures suivaient leur cours avec rapidité après les douze coups de minuit. J'essayais pourtant, les dimanches après midi, quand je tournais en rond dans ma chambre étudiante, à en rien savoir faire de mes dix doigts... mais non, rien, nada, l'angoisse de la page blanche parfois. Ou sinon, les quelques phrases me paraissant bien, je finissais toujours par les chiffonner avant de tester mes qualités de basketteur par un tir dans la corbeille. Ça ne valait rien. J'en avais parlé, une fois, à mon professeur de projet, et il m'avait confié être du même genre. L'inspiration de nuit et pire que ça : l'inspiration sous le coup du manque de temps. On avait beaucoup parlé, et j'avoue ne pas être mal lotit par rapport à lui, qui remettait tout au lendemain jusqu'à la contrainte de temps. Et me voilà donc, le dos plaqué contre un des murs des toilettes, genoux remontés jusqu'à ma poitrine, carnet posé à plat dessus. Mon stylo s'agite dans tous les sens, suivant mes pensées. Je jetais tout sur cette feuille-brouillon avant de mettre au propre le lendemain, sur mon ordinateur. J'avais un nouveau projet, l'histoire d'un jeune homme, lâché dans un autre pays. Il doit tout ré apprendre, se faire de nouveaux amis, tout est à revoir. Et forcément, il rencontre l'amour, auprès d'une jolie fille, presque intouchable, en dernière année de son cursus universitaire. Cliché ? J'avais besoin d'amour faut croire. Je continue, d'écrire ce qui me vient en tête, avant de marquer une pause. Du bruit dans le couloir... Un pion ? Eux non plus n'assuraient rien en soirée. Trop occupés à faire la fête. C'était un syndrome dans cet établissement pourtant très bien réputé. Les bruits de pas sont vite étouffés, et le retour au calme me rassure. Doucement, je pose mon carnet et stylo à côté de moi, calant le dos de mon crâne contre le mur froid. Je plonge ma main dans la poche de mon jean, pour en sortir mon paquet de marlboro. Personne ne viendrait de toute façon, je pouvais m'accorder une pause de quelques minutes ...

Cahier posé à côté de moi, le stylo trônant piteusement sur la couverture, je savoure ma pause clope. Les fêtes, très peu pour moi. Ça ne faisait pas assez de temps que j'étais arrivé à Niagara de toute façon. Pas énormément d'amis, pas énormément d'ennemis non plus – dieu merci -, je n'y m'étais pas non plus du miens pour m'intégrer. Trop timide pour ça si je devais me trouver des excuses. Et aussi une grande haine envers ma mère pour m'avoir fait quitter mon Autriche natale. Le nouveau monde, il portait bien son surnom celui là. Tout était nouveau, et me refaire des amis, c'était un peu mission impossible. Tant pis, on verrait bien après mes études – c'était ce qu'il y avait de plus important ici de toute façon non ? -. Je comptais obtenir mon diplôme new yorkais le plus rapidement possible, courir jusqu'à l'aéroport le plus proche avec mes valises et revenir dans mon Europe qui me manquait tant. Je tire une nouvelle latte sur ma cigarette, relève la tête pour cracher une longue traînée de fumée grisâtre. C'est un peu mon moment d'adrénaline là. Interdiction de fumer dans les toilettes et j'suis obligé de venir m'y planquer les soirs de fête pour contourner le règlement. Je fais pitié à ma façon, surtout que j'étais plus du genre à me mettre à pleurer dans le bureau du directeur si on me surprenait, qu'à m'en foutre totalement et lui rire au nez. M'enfin, à moi de ne pas me faire prendre. Et avec ma jolie gueule d'ange, on n'allait pas me passer le savon du siècle. Quand je pense que la majorité des élèves de cet établissement passés leurs temps à boire, à faire la fête en avalant n'importe quelle pilule qu'on leur tendait, sans vérifier au préalable les effets que ça allait leur faire. C'était bizarre, c'était nouveau, et je n'avais pas assez de cran pour faire comme les autres; D'ailleurs, la porte des toilettes qui vient de s'ouvrir me glace sur place; Un grand frisson me parcours l'échine. Ça y est, je suis foutu. Le plus rapidement possible, je jette mon mégot dans les toilettes, écoutant en même tant la plainte du nouvel arrivant. « Ah la merde, espèce d'enfoiré. » Gosh, c'est à moi qu'il s'adresse ? Les pions sont violents par ici. Je me redresse le long du mur sur lequel j'étais posé, mordillant ma lèvre inférieure à cause du stress. « Y'a personne au moins? Que j'me tape pas la honte pour la seconde fois de la soirée. Autant éviter. » Deux minutes, ce pion est il en train de me prendre pour un con ? Ou est ce que ce n'était pas du tout un pion et que je me foutais la peur du siècle pour rien ? Je tente un regard vers la voix. A première vue, il n'a pas l'air d'un pion. Et il a une sacrée tête aussi. Je laisse échapper un soupire de soulagement. Au moins, je n'avais pas signé mon arrêt de mort ce soir.

« La prochaine fois que j'le vois, j'lui nique sa race. » Violent l'inconnu. Je sort de ma cachette, m'approche un peu plus de lui en toussotant, histoire de signaler ma présence. Il a la lèvre complétement explosée. Il c'est battu ? Encore une raison qui me poussait à ne pas côtoyer les fêtes étudiantes de l'établissement. Si c'était pour me recevoir une droite parce que j'avais mal formulé mes propos ou parce que je tapais la discut' à une nana déjà en couple. Les poings étaient vites distribués avec un peu d'alcool dans le sang. « Hum ... » je m'approche un peu, tout de même sur la défensive. « Tu as besoin d'aide ? » Mais quelle entrée magistrale Julian. Digne du grand scénariste que tu comptais devenir.